Les députés étudient en ce moment même à l’Assemblée nationale le projet de loi “Pour la liberté de choisir son avenir professionnel”. Un nom plein de promesses qui suscite surtout pas mal d’inquiétudes. Dans ce projet figure la réforme de l’apprentissage. L’idée de cette réforme : replacer les entreprises au cœur de la formation des apprentis. En revoyant le mode de financement des centres de formation d’apprentis (CFA, Maisons familiales, etc.). Et là, ça coince un peu…
Actuellement, le mode de financement des CFA n’est pas des plus simples. Disons pour faire court que le principal pourvoyeur est la Région, qui évalue les besoins de formations à l’échelle de son territoire. Demain, si la réforme est votée, les Régions ne seront plus en première ligne, le financement sera assuré par les branches professionnelles, sur le principe d’un coût “au contrat”. En clair, chaque branche (BTP, coiffeurs, métallurgie, etc) va devoir déterminer elle-même combien coûte la formation d’un apprenti. Et verser cette somme à un CFA pour chaque jeune sous contrat, via une cotisation alternance, qui remplacera la taxe d’apprentissage.
- « Je ne sais pas si on pourra conserver des sections avec très peu d’élèves »
La logique est différente et suscite des interrogations du côté des chefs d’établissements scolaires : « On s’interroge d’abord sur certaines branches professionnelles, avance Alain Merlin, directeur de la Fédération des Maisons familiales rurales (MFR) de l’Isère. Il y a des secteurs, comme le BTP, qui sont parfaitement structurés. Mais ça n’est pas le cas de toutes les filières. L’agriculture ne fonctionne pas du tout en branche professionnelle. Comment fera-t-elle pour gérer en plus l’apprentissage ? »
L’autre grande inquiétude, c’est ce principe du coût au contrat. Philippe Tiersen est le président de la Chambre de métiers de l’Isère, qui gère l’Efma (Espace de formations aux métiers de l’artisanat) de Bourgoin-Jallieu. « Selon cette réforme, il semble qu’il sera plus simple d’être un gros CFA en milieu urbain, formant ses jeunes à des métiers issus de filières professionnelles bien organisées, qu’un petit CFA de milieu rural avec peu d’élèves, avance-t-il. Aujourd’hui, l’Efma a un budget de 5 millions d’euros pour 1 100 apprentis. Avec la réforme, je ne sais pas si j’aurai la même somme. »
« Il nous arrive d’ouvrir de toutes petites sections dans nos MFR, ajoute Alain Merlin. Je pense à une formation de charpentier qui répond à un besoin localement, mais qui ne concerne que six apprentis. Jusqu’à présent, on raisonnait sur un budget global au niveau de la MFR. Les classes plus remplies compensaient d’autres sections plus petites. Avec un financement au contrat, je ne sais pas si on sera encore en mesure de conserver des sections avec si peu d’élèves. Alors que le territoire en a besoin aussi. »
Le financement par les branches professionnelles est un coup dur pour les Régions. En Auvergne-Rhône-Alpes, le patron, c’est Laurent Wauquiez. La charge contre le gouvernement n’en est que plus virulente. Stéphanie Pernod-Beaudon, vice-présidente à l’apprentissage, ne décolère pas : « Chaque apprenti en Auvergne-Rhône-Alpes coûte entre 1700 et 3500 € par an à la Région. En plus de fournir la plus grande part du budget des CFA, nous financions le transport des élèves, la restauration scolaire. Le gouvernement nous retire la compétence, donc tout ça, c’est fini. Pour compenser, il nous allouera a priori une somme pour aider les CFA à investir et une autre pour aider les structures en difficulté. On parle de 250 et 180 millions d’€ au niveau national. C’est insuffisant ! Dans notre région, ce nouveau mode de financement met en péril deux tiers de nos établissements, qui n’auront pas assez d’apprentis pour fonctionner. »
Le Dauphiné Libéré vendredi 25 mai 2018 – Marie Rostang.